Le Gouvernement vient de déposer à l’Assemblée Nationale le
« PROJET DE LOI N°962/PPJL/AN PORTANT RÉPRESSION DES ACTES DE TERRORISME ».
Ce texte apparaît manifestement comme sa réponse au soulèvement populaire qui a entraîné la chute du régime dans divers pays africains et en particulier au Burkina Faso. Il traduit une volonté perverse de terroriser le peuple camerounais et de caporaliser la société par un retour aux heures les plus sombres de notre histoire politique qui avaient donné naissance, entre autres, à la tristement célèbre Ordonnance de 1962 sur la subversion. Le pouvoir avait aboli cette fameuse Ordonnance à grand renfort de tapage médiatique, pour s’acheter une bonne conduite démocratique à l’aube des années 1990. Mais il retrouve les vieux démons autocratiques du régime qu’il perpétue en soumettant à l’adoption du Parlement le projet susvisé.
Pour le MRC, ce projet de loi est inacceptable pour les raisons ci-après.
Il s’agit d’un projet de loi liberticide en ce qu’il punit «de la peine de mort, celui qui, à titre personnel, en complicité ou en co-action, commet tout acte ou menace d’acte susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique , d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages aux ressources naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel dans l’intention :
a) d’intimider la population de provoquer une situation de terreur ou de contraindre la victime, le gouvernement et/ou une organisation nationale ou internationale, à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ou à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes;
b) de perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation des services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations;
c) de créer une insurrection générale dans le pays» (article 2 du projet de loi).
Le projet de loi créé manifestement une infraction politique puisqu’il interdit de la sorte l’expression collective, même pacifique d’un désaccord politique. Il assimile en définitive les populations camerounaises qui manifesteraient leur mécontentement à des terroristes.
Ce texte ne peut être regardé autrement que comme une infâme provocation du régime sans doute inspirée par des conseillers prétentieux et autres prétendants antidémocrates tapis dans l’ombre, qui espèrent pouvoir s’emparer du pouvoir contre la volonté du peuple camerounais, en le paralysant par avance par un texte digne des pires régimes totalitaires ou fascistes du 20ème siècle, dont on ne retrouve aujourd’hui qu’une rare survivance loin du continent africain, et que le régime en place au Cameroun voudrait sans doute rejoindre.
Il s’agit d’un texte indigne de la compétence dont sont crédités les juristes camerounais, qui marque une régression démocratique majeure, et que nos parlementaires de quelque bord politique qu’ils soient ne peuvent adopter sans discréditer l’Institution parlementaire, c’est-à-dire le Pouvoir Législatif mandataire du peuple camerounais, et par suite notre pays.
Le Cameroun a certainement besoin d’un dispositif pénal approprié pour combattre le terrorisme. Une telle loi devrait contenir une définition de l’infraction de terrorisme telle qu’elle ressort de tous les instruments juridiques internationaux de lutte contre le terrorisme, à l’exception notable de la Convention de l’OUA précitée. Sont ainsi considérées en droit international comme actes de terrorisme, les infractions graves constituées par : une attaque contre la vie, l’intégrité corporelle ou la liberté des personnes ayant droit à la protection internationale y compris les agents diplomatiques ; l’enlèvement, la prise d’otage ou la séquestration arbitraire ; l’utilisation des bombes, grenades, armes à feu automatiques, ou de lettre ou colis piégés dans la mesure où cette utilisation présente un danger pour les personnes ; ou la tentative de commettre une de ces infractions, ou la participation en tant que coauteur ou complice d’une personne qui commet ou tente de commettre une telle infraction.
Le Gouvernement ne saurait faire régner la peur dans le pays et priver les camerounais de leur liberté d’expression et de manifestation, de leur droit d’exprimer leur désaccord avec un gouvernement sourd et indifférent à leurs revendications même les plus légitimes par une loi qui est contraire aux règles les mieux établies du droit international contemporain. C’est un coup mortel porté à la démocratie ; car, si une telle loi était adoptée, désormais aucune grève ou manifestation d’étudiants, de syndicats et différents autres regroupements socioprofessionnelles ne serait possible au Cameroun. Personne ne sera à l’abri. Tout le monde sera à la merci du régime en place. Ce projet de loi est contraire à la Constitution, aux droits fondamentaux du citoyen qu’elle garantit notamment dans son préambule, et aux valeurs fondamentales de la République qu’elle consacre; en conséquence, il mériterait d’être porté devant le Conseil constitutionnel, de même d’ailleurs que la Convention de l’OUA sur laquelle il se fonde.
Relativement à l’état actuel du droit international en la matière, et en particulier des instruments juridiques internationaux de lutte contre le terrorisme auxquels le Cameroun est ou voudrait être partie, il y a lieu de souligner les points suivants :
Premièrement, le projet de loi en question s’appui sur la Convention de l’OUA de 1999, en particulier son Article 1 (3) a) d’où est tirée la définition précitée de l’acte de terrorisme. Cette définition, contraire au droit international, est unanimement rejetée en dehors de l’Afrique et par les auteurs. Il est étonnant que le Cameroun qui s’est abstenu d’adhérer à cette Convention depuis 15 ans qu’elle existe lui ait subitement découvert des qualités exceptionnelles au point de vouloir procéder en même temps à sa ratification et à l’adoption d’une loi la transcrivant dans notre droit interne.
Au demeurant, il convient de relever que l’article 21 de cette Convention dispose qu’aucune de ses dispositions ne peut être interprété comme «dérogatoire» entre autres «à la Charte africaines des droits de l’homme et des peuples». Or, le texte proposé est contraire par exemple à l’article 20 (1) de cette Charte. Du reste, le Gouvernement camerounais ne peut chercher à tirer partie de cette Convention puisqu’il n’en est pas partie. En effet, le gouvernement vient de déposer au cours de la session en cours du Parlement, un projet de loi de ratification de ladite Convention. Ce projet de loi n’est pas encore adopté, et quand bien même il le serait, il n’est pas encore ratifié par le Président de la République, pas plus que les instruments de son éventuelle ratification ne sont déposés auprès du dépositaire. En conséquence, le Cameroun ne pourrait pas encore tirer avantage de cette Convention. En cherchant à le faire, il commet une imposture juridique qui habille mal une tricherie politique.
Deuxièmement, la référence à la Résolution 2178 du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité des Nations Unies est une seconde imposture juridique dans ce projet de loi. En effet, cette Résolution traite du terrorisme en tant que phénomène résultant des extrémismes violents liés aux activités des terroristes étrangers. Dans le préambule de la Résolution, le Conseil de sécurité se dit «gravement préoccupé par la menace terrible et grandissante que font peser les combattants terroristes étrangers, à savoir des individus qui se rendent dans un Etat autre que dans leur Etat de résidence ou de nationalité, dans le dessein de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser ou de recevoir un entraînement au terrorisme, notamment à l’occasion d’un conflit armé». Aussi, le Conseil de sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies :
- «1. Condamne l’extrémisme violent, qui peut conduire au terrorisme, la violence confessionnelle et la perpétration d’actes de terrorisme par des combattants terroristes étrangers, et exige que tous les combattants terroristes étrangers désarment, qu’ils mettent fin à toutes leurs activités terroristes et qu’ils cessent de participer à des conflits armés.
- «7. Se dit ferment résolu à envisager d’inscrire sur la Liste, en application de la résolution 2161 (2014), les personnes, groupes ou entités associées à Al-Qaida qui financent, arment, organisent et recrutent pour son compte ou qui soutiennent de toute autre manière ses actes ou activités, y compris à l’aide des nouvelles technologies de l’Information et de la communication comme Internet, les médias sociaux et tout autre moyen».
Sauf à considérer tous les Camerounais comme des membres d’Al-Qaïda ou d’organisations affiliées comme Boko Haram, l’on ne voit pas comment le Gouvernement pourrait tirer avantage de cette Résolution pour édicter une législation nationale sur la répression du terrorisme dans notre pays entièrement orientée contre les nationaux.
En outre, le Gouvernement feint d’ignorer que dans le préambule de sa Résolution, le Conseil de sécurité réaffirme «que les États Membres doivent veiller à ce que les mesures qu’ils prennent pour combattre le terrorisme soit conformes à toutes les obligations que leur fait le droit international, en particulier le droit international des droits de l’homme, le droit international des réfugiés et le droit international humanitaire, soulign[e] que les mesures antiterroristes efficaces et le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de l’État de droit sont complémentaires et se renforcent mutuellement, et que tous sont des éléments essentiel au succès de la lutte contre le terrorisme, not[e] qu’il importe de respecter l’Etat de droit pour prévenir et combattre efficacement le terrorisme et not[e] également que le fait de se soustraire à ces obligations internationales particulières comme à d’autres, dont celles résultant de la Charte des Nations Unies, est un des facteurs contribuant à une radicalisation accrue et favorise le sentiment d’impunité». Ainsi donc, le projet de loi du gouvernement portant répression du terrorisme viole et la lettre et l’esprit de cette Résolution 2178 du Conseil de sécurité.
Troisièmement, les dispositions de l’article 2 du projet de loi gouvernemental, ensemble les dispositions de l’article 1 (3) a) de la Convention de l’OUA de 1999 sont manifestement contraires à l’article 3 de la Convention des Nations pour la répression du financement du terrorisme signée à New York le 10 janvier 2000 et à laquelle le Cameroun est partie. Selon cet article 3, ladite Convention ne s’applique pas (et donc il n’y a pas acte de terrorisme) «lorsque l’infraction est commise à l’intérieur d’un seul Etat, que l’auteur présumé est un national […]».
Quatrièmement, aucun autre instrument juridique qu’il soit universel ou régional ne fournit une définition de l’acte de terrorisme identique à celle de la Convention de l’OUA reprise dans le projet de loi gouvernemental : ni les diverses Conventions des Nations Unies, ni la Convention de l’Organisation des Etats américains (v. article 2), ni la Convention européenne pour la répression du terrorisme (v. article 1), ni la Convention régionale de l’Association des Etats de l’Asie du Sud-est de 1987 sur la suppression du terrorisme (v. article 1).
Manifestement, dans la bataille de succession qui a déjà commencé à l’intérieur même du régime, certains se préparent à s’emparer du pouvoir de façon antidémocratique, par des élections truquées ou peut-être même par des voies non électorales en muselant par avance le peuple camerounais qui pourrait manifester son mécontentement, en faisant planer la menace de la peine de mort sur les leaders de l’opposition qui auraient l’outrecuidance de manifester leur désaccord. Cela est inacceptable pour un Gouvernement qui se dit démocratique et proclame par ailleurs son attachement à la paix et à la stabilité du pays et qui, ce faisant, se révèle comme le principal ferment des troubles potentiels dans le pays.
POUR TOUTES CES RAISONS, CE PROJET DE LOI DOIT ÊTRE PUREMENT ET SIMPLEMENT RETIRE.
Le MRC en appelle à la conscience patriotique et républicaine des membres du Parlement pour qu’ils repoussent ce projet de loi au cas où le Gouvernement, fidèle à son jusqu’au-boutisme habituel, le maintenait devant la représentation nationale. Au nom de la liberté et de la démocratie chèrement acquises dans notre pays, de la paix si chère à notre peuple, barrons la voie à ce projet de loi inique! Personne ne devra dire demain qu’il ne savait pas.
Vive le Cameroun !
Yaoundé, le 02 décembre 2014
Le Président National du MRC
Pr. Maurice KAMTO
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