05
Oct 2019

1 – Au moment où le pouvoir en place vient d’annoncer « l’arrêt des poursuites pendantes devant les Tribunaux Militaires, contre certains responsables et militants de partis politiques et notamment du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) », notre première pensée va à l’endroit de nos alliés, camarades et sympathisants qui ont subi les pires traitements avec des atteintes graves à leur dignité, ont été sauvagement torturés après avoir été arbitrairement arrêtés et illégalement emprisonnés, certains pendant plus de 8 mois. Nous pensons en particulier à notre ami, notre frère d’arme, le 1er Vice-Président Mamadou YAKOUBA MOTA. Nous pensons aux autres camarades sur qui on a tiré le 26 janvier 2019, ceux qui ont été également torturés à la suite du soulèvement intervenu à la prison centrale de Yaoundé, notamment M. NANA Serges Branco, aux femmes de tous les âges, si héroïques, bref à tous les camarades et sympathisants pour la résistance hors normes dont ils ont fait preuve pendant tout ce temps. Nous leur disons notre admiration et toute notre affection. Qu’ils sachent que leur sacrifice n’aura pas été vain et que grâce à leur combat et leur résistance, nos compatriotes ont désormais pris la mesure de ce qui est à l’œuvre dans notre pays.

Nous adressons nos plus vifs remerciements à nos Avocats camerounais et étrangers qui, dans un engagement exceptionnel, ont brillamment assuré notre défense; à nos familles si affectueuses, si dévouées; au Directoire, aux responsables à tous les niveaux et aux militants de notre parti pour leur veille et leur mobilisation permanentes; aux nombreux Camerounais de tout bord, de l’intérieur et de l’extérieur pour leur engagement, leur sympathie et leurs soutiens multiformes qui nous ont permis de tenir pendant tout ce temps. En cela, ils ont montré leur volonté de changement et leur foi en le projet de société que nous avons proposé au peuple camerounais. Qu’ils sachent que la lutte politique pacifique n’en est qu’à ses débuts, et que nous comptons sur eux pour préparer les victoires de demain.

Aux éminents collègues et amis étrangers du Professeur Maurice KAMTO, aux différentes sociétés savantes dont il est membre, à la communauté scientifique des juristes, à ses confrères Avocats des Barreaux étrangers, aux nombreux amis et sympathisants des pays étrangers, nous témoignons ici notre profonde gratitude pour leur extraordinaire mobilisation et leur grande marque d’affection.

Notre profonde reconnaissance va enfin à l’endroit de la Communauté internationale, des pays amis du Cameroun, des ONG des droits de l’homme et autres organisations de la société civile, de certains partis politiques, pour leurs différentes déclarations en faveur d’un règlement concerté et inclusif des crises multiformes qui secouent notre pays, ainsi que de notre libération immédiate et sans conditions.

L’arrêt des poursuites annoncé ne semble pas avoir réglé la situation de tous nos camarades détenus. Tous n’étaient pas poursuivis devant les Tribunaux militaires.

Certains sont traduits devant les tribunaux civils, où quelques-uns ont déjà été condamnés à des peines d’emprisonnement ferme. Tant que les charges retenues contre eux n’ont pas été abandonnées et que les condamnations prononcées contre les autres ne sont pas annulées, aucun d’entre nous ne sera libre et la lutte se poursuivra jusqu’à leur libération. Notre combat vise à l’émancipation de l’ensemble des populations camerounaises. C’est pourquoi ce combat est profondément juste et parle si profondément à la grande majorité de nos compatriotes.

2 – L’arrêt des poursuites contre certains dirigeants du MRC, les leaders des partis et organisations alliés et nos militants et sympathisants crée les conditions pour des discussions sur le volet politique des crises multiformes qui affectent notre pays, pour autant que le pouvoir en place ne s’enferme pas dans son indifférence habituelle.

A cet égard, il y a lieu de dire que, si par l’arrêt des poursuites, fait en vertu des articles 13 et 14 du Code de Justice Militaire, dont l’alinéa 3 du dernier article laisse la possibilité de reprendre les poursuites à tout moment, le régime en place veut faire planer une épée de Damoclès sur nos têtes et faire taire les revendications qui ont conduit à notre arrestation arbitraire et notre détention illégale, ce serait une erreur. La crise politique née à la suite de l’élection présidentielle du 07 octobre 2018 reste entière. Il s’agit :

– de l’urgence de solder le passif de cette élection;

– de l’impératif d’une réforme consensuelle du système électoral, afin d’éviter de nouvelles crises post-électorales à l’avenir. Cette réforme consensuelle doit intervenir avant toute nouvelle élection, comme le demande la quasi-totalité des acteurs politiques nationaux (y compris ELECAM), la communauté internationale, et comme le commande le bon sens;

– de la garantie des libertés publiques et des droits humains fondamentaux. Nous ne nous accommoderons jamais du fait qu’un Sous-préfet puisse décider tout seul, par un acte réglementaire le plus bas dans la hiérarchie des normes juridiques au Cameroun, à faire échec à des droits et libertés garantis par la Constitution et les instruments juridiques internationaux auxquels le Cameroun est partie, notamment la liberté de réunion et de manifestations pacifiques;

– de la garantie de l’indépendance de la justice et de la renonciation à l’instrumentalisation de cette justice à des fins politiques.

A cet égard, les propositions faites par le Sultan MBOMBO NJOYA nous paraissent de sagesse et de bon sens, parce qu’elles permettent de jeter les bases d’une République nouvelle aux fondations démocratiques mieux assurées.

Dans ce cadre, on ne pourra pas faire l’économie d’une réponse appropriée à la question du tribalisme que le pouvoir n’a, curieusement, jamais condamné.

3 – Le Grand Dialogue National (GDN) qui vient de s’achever était censé apporter, à titre principal, une solution à la grave crise qui secoue les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (NOSO) depuis trois ans.

Les participants à ce Dialogue ont choisi comme réponse aux revendications des Anglophones sur la forme de l’Etat, le maintien de la décentralisation avec un « statut spécial » pour les régions concernées.

Notre plus grand souhait est que cette solution réponde vraiment aux attentes des populations desdites régions. Mais il est à craindre que ce ne soit pas le cas, et ce pour les raisons suivantes :

a) C’est nous qui avons proposé, en 2017, le régionalisme avec un statut spécial pour les régions anglophones. Mais c’était avant l’exacerbation du conflit armé avec ses 3000 morts environ et les nombreux réfugiés et déplacés internes. Depuis lors, les groupes armés du NOSO semblent avoir renforcé leur emprise sur le terrain, se sont mieux organisés et de manière générale ils semblent trouver cette solution proposée par le GDN très éloignée de leurs attentes.

b) Pour rendre cette solution acceptable sinon pour tous les Anglophones, du moins le plus grand nombre, il aurait fallu discuter du contenu du « statut spécial » dans le cadre du GDN avec les représentants des différents groupes concernés, y compris les sécessionnistes, car pour le moment, on leur vend un paquet dont le contenu est inconnu.

c) Au demeurant, la possibilité d’un statut spécial est déjà contenue dans l’article 62 (2) de la Constitution du 18 janvier 1996 qui dispose que, sans préjudice du régime général qui s’applique à toutes les régions, « la loi peut tenir compte des spécificités de certaines régions dans leur organisation et leur fonctionnement ».

En somme, sur cette question fondamentale de la forme de l’Etat, le pouvoir en place n’aura pas bougé d’un iota de sa position de toujours. Avait-on vraiment besoin d’environ 3000 morts, plus d’un million de déplacés internes, près de 40.000 réfugiés, de centaines de villages rasés, de trois années de scolarité perdues et d’une catastrophe économique pour venir réaffirmer des dispositions d’une Constitution qu’on refuse d’appliquer depuis 23 ans ?

d) On ne peut faire l’économie d’un dialogue direct avec les leaders anglophones qui ont une emprise réelle sur les groupes armés contrôlant la majeure partie du terrain dans le NOSO. A cet égard, il nous paraît illusoire de croire qu’on peut gagner la paix en libérant quelques combattants et en gardant en prison leurs leaders condamnés à vie; de croire que les populations et les combattants abandonneront à leur triste sort ces leaders qui les ont guidés et contraints le régime en place à faire semblant de dialoguer.

Dans cette perspective, une amnistie générale pour tous les leaders et toutes les autres personnes arrêtées dans le cadre de la crise anglophone est indispensable pour créer les conditions d’un règlement en profondeur et durable de cette crise.

Il est impératif sinon de trouver une solution définitive à cette crise, du moins de créer un climat de paix dans les deux régions concernées avant la tenue des prochaines élections, par l’adoption et la mise en œuvre de mesures de désescalade et de confiance. Car, si les élections à venir ne pouvaient se tenir dans les régions anglophones, comme lors de la présidentielle de 2018, pour cause d’insécurité, les tenir dans les seules régions francophones reviendrait à acter de facto la partition du pays.

4 – En conclusion générale, on peut faire les constats suivants :

– En visant uniquement les Tribunaux militaires, le communiqué annonçant l’arrêt des poursuites contre certains responsables, militants et sympathisants de partis politiques, notamment le MRC, semble ne pas couvrir les procédures pendantes devant les tribunaux civils engagées contre certaines personnes concernées par le communiqué.

– Le GDN ne semble pas avoir apporté une solution nouvelle et durable aux revendications des Anglophones sur la forme de l’Etat. Une telle solution ne peut être dégagée qu’à la suite de discussions directes avec les représentants politiques des groupes armés qui contrôlent le terrain, notamment ceux qui ont récemment été condamnés à la prison à vie.

– Une telle solution est indispensable avant l’organisation des prochaines élections, afin de ne pas ouvrir la voie à une partition de fait du pays, faute de pouvoir organiser un scrutin crédible dans les régions du NOSO pour cause d’insécurité. Dans cette perspective, il est urgent de libérer toutes les personnes encore détenues en raison de leur implication dans la crise anglophone.

– Notre main-tendue d’avril 2019 pour solder le passif de l’élection présidentielle du 07 octobre 2018 n’a essuyé que quolibets et mépris. Cette main reste tendue. Le GDN n’a nullement abordé l’épineuse question de la crise post-électorale. Même nos 9 mois d’emprisonnement arbitraire n’auront pas suffi à sensibiliser le pouvoir en place à la nécessité de régler cette question. En particulier aucune attention n’a été accordée ne serait-ce qu’à la question cruciale de la réforme consensuelle du système électoral avant toutes nouvelles élections, question sur laquelle s’accordent tous les acteurs politiques de notre pays, y compris ELECAM. Force est donc de constater que le HOLD-UP ELECTORAL se poursuit et entend se poursuivre. Aussi sommes-nous dans l’obligation de maintenir et d’accentuer la Résistance nationale, dans les formes et les modalités qui seront communiquées ultérieurement. En conséquence, nous demandons aux militants et sympathisants du MRC, ainsi qu’à tous les Camerounais soucieux de l’avenir de notre pays, de rester mobilisés.

Yaoundé le 5 octobre 2019
Le Président élu,
Président National du MRC
Maurice KAMTO.