Chers jeunes compatriotes,
Dans les heures qui viennent, auront lieu les festivités marquant la 48ème édition de la fête de la jeunesse. Au-delà du rituel composé de diverses activités au cours desquelles s’expriment toute votre énergie et votre désir de vivre dans un monde meilleur, je vous invite à vous arrêter un instant afin qu’ensemble, nous parlions de votre présent et que nous scrutions l’avenir.
Comme vous le savez, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) accorde une attention particulière à la situation des jeunes de notre pays. On ne peut en dire autant du Gouvernement de la République. On doit relever pour le déplorer le peu d’intérêt de ce Gouvernement pour la jeunesse camerounaise dont les conditions de vie n’ont jamais été aussi précaires et l’avenir aussi incertain. Ce peu de considération à votre égard se perçoit notamment à travers la faiblesse des données statistiques permettant de cerner votre situation, et l’absence de données chiffrées sur les objectifs du Gouvernement en matière de formation technique et de lutte contre le cancer du chômage des jeunes.
Comment faire face aux nombreux maux qui minent la jeunesse camerounaise, entravent son épanouissement et privent le pays du bénéfice légitime qu’il est en droit d’attendre de ses multiples talents ? La jeunesse de notre pays n’a-t-elle désormais pour seuls horizons que le chômage endémique, la misère radicale que dissimule mal les petits métiers de survie, l’immigration forcée et aventureuse qui s’achève souvent dans les dunes du désert ou les flots des océans, l’exil économique où au manque d’emploi s’ajoute la détresse psychologique ? Telles sont quelques questions que la Gouvernement de la République doit se poser et auxquelles il doit apporter des réponses efficientes sur la base d’études socioéconomiques mises à jour régulièrement.
La célébration de la fête nationale de la jeunesse, qui fut instituée pour souligner le rôle primordial que la Nation assigne à ses jeunes citoyens, ne peut se réduire à des défilés, si bien organisés soient-ils, ou à des agapes où la mémoire et la conscience collectives se noient dans l’étourdissement fugace de la fête; car la réalité de la détresse des Camerounais nous rattrapera toujours. Selon la deuxième enquête camerounaise auprès des ménages (ECAM II), réalisée en 2010, 36,68% de l’effectif global des 15-30 ans sont frappés par le chômage. Des jeunes Camerounais atteignent l’âge de la retraite sans avoir jamais exercé un premier emploi rémunéré. Ils vivent d’expédients – autant dire de rien – et n’attendent rien du lendemain; ils sont pour la plupart réduits à l’état de mendicité. Nombreux sont ceux parmi eux qui, la trentaine passée, habitent encore chez leurs parents, qui pensent au mariage avec anxiété quand ils n’y renoncent pas purement et simplement, faute du minimum indispensable pour fonder un foyer.
La répartition inégale des richesses a provoqué une fracture sociale profonde qui coupe le pays en deux, en une démarcation entre une minorité aisée à une majorité qui peine au quotidien à joindre les deux bouts. Les conséquences sociales sont connues : stagnation voire recul de l’espérance de vie dans notre pays où l’on meurt faute de pouvoir payer une ordonnance prescrivant un traitement de base contre le paludisme; où le choléra fait encore des ravages de manière cyclique; décrépitude morale et perte de tout sens civique se traduisant par la délinquance, le banditisme, l’alcoolisme, la consommation de drogues, la prostitution, le choix des raccourcis qui mènent dans l’impasse ou à la mort précoce. Un rapport rendu public par l’Institut National de la Statistique (INS) au Cameroun, nous apprend qu’environ 28% des enfants camerounais, soit 1,6 million de mineurs de 5 à 17 ans, sont soumis au travail interdit, en conséquence de la pauvreté des parents d’une part, et de l’absence de réponses institutionnelles, politiques, économiques et sociales à la détresse sociale qui a gagné notre pays depuis environ deux décennies.
Ce tableau bien sombre n’est pas une création du MRC; nous nous contentons d’en faire l’écho, car il est l’œuvre des institutions publiques en charge des statistiques dans notre pays. Il est donc incontestable par ceux qui sont en charge des affaires de la nation aujourd’hui. C’est pourquoi, au lieu de balayer comme d’habitude notre interpellation avec le mépris de ceux qui croient détenir la vérité absolue et n’ont jamais rien à se reprocher, les dirigeants actuels du pays doivent, pour une fois, se faire violence et prêter oreille à l’appel que nous lançons à la nation toute entière : il est urgent d’entreprendre une réforme profonde et audacieuse de notre système éducatif et de formation professionnelle afin d’ouvrir à notre jeunesse des perspectives nouvelles. Le Gouvernement doit définir en la matière des objectifs quantifiés et y consacrer ses efforts prioritaires en mobilisant toutes les intelligences et les expériences dans ce domaine. Il doit y investir des sommes conséquentes, dépensées de manière rationnelle avec une obligation de résultat. Le Parlement doit en faire son principal cheval de bataille au cours de la législature qui vient de commencer, en interpellant le Gouvernement sur ses objectifs et ses résultats en la matière et en contrôlant rigoureusement les dépenses publiques dans ce secteur. Aucune nation consciente et ambitieuse, ne peut rester indifférente au dépérissement de sa jeunesse, sauf à renoncer à son propre avenir.
Chaque année, de nouvelles promesses vous sont faites; et chaque année vous attendez en vain qu’elles soient réalisées. Pour ne prendre qu’un exemple sur la question de l’emploi, les 25.000 postes dans l’administration annoncés en 2010 pour combattre, dit-on, le chômage des jeunes, n’ont jamais été bouclés – indépendamment même du fait que c’était une mauvaise mesure sur le plan de la gestion des finances publiques; les 200.000 emplois annoncés pour l’année 2013 restent attendus, aucun chiffre n’ayant été communiqué à ce jour sur cette promesse qui, de toute évidence, n’a pas été tenue, puisque le Gouvernement reconnaît lui-même n’avoir utilisé que 30% environ du budget d’investissement public qui était censé générer la plupart de ces emplois au cours de l’année en question. On a cru pouvoir se dérober devant la dureté de cette réalité en vous proposant comme thème de réflexion pour cette année : «Jeunesse patriotisme et promotion de l’intégration nationale». Mais, sans dénier l’importance cruciale du patriotisme pour toute nation – qui plus est, en construction comme le Cameroun – et de l’intégration nationale dans une société de mixité ethnique comme la nôtre, on observera que le Gouvernement a oublié qu’avant d’exalter l’un et de promouvoir l’autre, il faut tout simplement être vivant; et le moins que l’on puisse dire est que la jeunesse camerounaise survie à peine.
Chers jeunes compatriotes, je mesure l’ampleur de vos frustrations et de votre souffrance. Je sais qu’en des moments aussi difficiles, on est tenté par le découragement et la désespérance. Mais parce que le Cameroun compte sur vous, parce que ce pays ne deviendra pas une nation forte, prospère, solidaire et respectée sans sa jeunesse inventive, mobilisée et préparée à affronter le redoutable combat du monde globalisé, je vous exhorte à rester debout. La célébration du 50e anniversaire de la Réunification, si elle n’était devenue une arlésienne, aurait pu être une occasion spéciale de mieux vous faire comprendre le sens et la portée de la fête de la jeunesse au Cameroun. Cette fête est en réalité l’histoire d’une mutilation et d’une profonde souffrance nationales – à savoir l’échec orchestré de notre pays au plébiscite du 11 février 1961 et le rattachement consécutif du Cameroun septentrional au Nigeria – qui ont été transformées en une espérance fondée sur la jeunesse de notre pays. Vous devez donc garder foi en un avenir radieux pour ce pays dont vous connaissez vous-mêmes les ressources exceptionnelles. Je saisis la présente occasion pour réitérer les sincères condoléances du MRC aux familles de ces jeunes en détresse qui périssent dans les déserts et les océans; à ces familles dont les enfants décèdent quotidiennement dans les hôpitaux du fait d’une absence de prise en charge médicale pour les premiers soins; aux familles de nos jeunes soldats tombés au champ d’honneur pour préserver l’intégrité territoriale de notre très cher et beau pays : la patrie leur est à jamais reconnaissante.
Chers jeunes compatriotes, le défi auquel vous êtes confrontés est un défi à la nation toute entière. Il ne peut être surmonté que par des solutions qui s’inscrivent dans la cadre d’une transformation globale de la société camerounaise. Il s’agit d’une mutation politique, économique, sociale, culturelle profonde et pacifique, fondée sur une nation réconciliée et mobilisée, où la confiance règne entre les citoyens et entre les communautés. C’est ce que le MRC appelle le changement dans la paix; dans la paix parce que vos vies sont précieuses et nous y tenons, et parce que chaque acquis doit être préservé. Ce changement-là ne peut advenir sans l’implication et l’engagement de la tranche la plus nombreuse de la population camerounaise que constitue sa jeunesse. Ce changement-là ne peut arriver que par les urnes. C’est pourquoi chacun de vous doit aller s’inscrire sur les listes électorales chaque fois que s’ouvre la période des inscriptions qui court chaque année du mois de janvier au mois d’août; aller retirer sa carte d’électeur si ce n’est pas encore fait et se tenir prêt à aller voter le moment venu. Votre carte d’électeur est le puissant levier du changement. Il vous permet de contribuer à l’avènement de la société de justice, de liberté, de démocratie et de progrès auquel vous aspirez légitimement. Vous détourner de la politique serait une erreur fatale; ce serait abandonner votre destin aux mains des autres, je veux dire de ceux qui, pour certains, sont rassasiés des grâces de la vie et n’attendent plus grand chose de celle-ci ou si peu.
Chers jeunes compatriotes, plus que jamais le Cameroun compte sur vous. Le MRC entend faire des aînés un atout pour la jeunesse et non un obstacle à son épanouissement. Les plus âgés doivent transmettre aux plus jeunes leur expérience par un compagnonnage bien pensé, réalisé dans la convivialité et la conscience que le destin des grandes nations se bâtit dans la continuité assumée de ce qu’elles ont reçu de meilleur en héritage. Le MRC entend faire de la jeunesse si ingénieuse, si inventive et si laborieuse de notre pays une vraie chance pour le Cameroun, en ouvrant les portes aux vents les plus favorables à l’expression du génie et du talent de chacun. C’est ensemble, avec vous, que nous voulons tenir ce pari de la modernité, dans la solidarité et la fraternité républicaines, pour l’amour de ce pays dont nous avons ensemble la responsabilité.
Joyeuse fête de la jeunesse.
Vive la jeunesse camerounaise.
Vive le Cameroun.
Pr. Maurice KAMTO
Président National du MRC
Message de Maurice KAMTO aux jeunes – Fête de la jeunesse 2014