22
Oct 2017

Après les tragiques développements de la crise anglophone du 1er octobre 2017, qui auraient pu être évités par le Gouvernement, le mercredi 11 octobre, le Ministre Délégué à la Présidence de la république chargé de la Défense (MINDEF) a rendu public un communiqué. Celui-ci annonçait la tenue le lendemain 12 octobre 2017 à Buea dans la Région du Sud-Ouest, d’un conclave avec les responsables centraux et territoriaux des forces de défense et de sécurité et les gouverneurs des deux Régions du Nord-ouest et du Sud-ouest. Ce conclave avait pour objectif d’évaluer «le fonctionnement des divers dispositifs sur le terrain pour les adapter le cas échéant à l’aune du respect de la loi et de l’ordre».

Dans un contexte où, quoi qu’en disent les sécurocrates, les faucons et les idéologues du régime, le pays est confronté essentiellement à un problème de maintien de l’ordre découlant de revendications politiques des populations, ce communiqué émanant non pas du Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation (MINATD), voire du Ministre de la Justice, mais du MINDEF, laisse perplexe tout observateur attentif. En effet, lorsque la Défense se préoccupe «du respect de la loi et de l’ordre» en lieux et places des autorités administratives et de leurs services d’appui que sont les institutions en charge de la sécurité intérieure dans un pays, tous les républicains démocrates doivent s’en inquiéter.
Au terme de cette rencontre à huis clos entre le Ministre de la Défense et les hauts gradés du pays, y compris les chefs de la sécurité intérieure – selon le compte rendu fait par les médias d’État – il est apparu que le Cameroun ferait face à «un mouvement insurrectionnel et terroriste».
Un message de la Deuxième Région Militaire Interarmées (RMIA 2), daté du même 12 octobre 2017, à diffusion restreinte, mais curieusement en large diffusion désormais sur les réseaux sociaux, annonçait, sur la base «d’informations digne de foi», l’imminence de la menace de l’attaque de notre pays, en liaison avec la crise anglophone, par d’anciens éléments des Marines américains, en complicité avec certaines «personnalités en poste», dans le but d’empêcher la tenue des élections de 2018.
Ces éléments mis ensemble inquiètent d’autant plus qu’ils permettent de voir sous un nouveau jour, l’extrême militarisation des deux Régions anglophones, le recours disproportionné à la force et aux armes létales observé le 1er octobre face à des populations civiles non armées et les tentatives maladroites du Gouvernement de faire croire que le pays est en guerre et que l’armée fait face à des combattants ennemis.
Comme nous l’avons relevé, le Président de la République a déserté le pays après sa participation inopportune et donc politiquement irresponsable à la 72ème session de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, alors que le pays entrait dans une zone d’incertitude totale. Cette désertion a consacré l’effacement du politique dans la gestion de la crise dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Il demeure cependant, constitutionnellement, en fonction tant que la Cour suprême-Conseil constitutionnel- n’a pas déclaré la vacance du pouvoir.
Cependant, l’on observe une militarisation rampante qui, outre le curieux engagement de l’armée dans la crise politique qui secoue les deux Régions, s’infiltre par des messages de nature à mettre l’armée en état d’alerte, non pas contre des ennemis extérieurs opérant sur le territoire national, mais contre les populations camerounaises.
Le Cameroun ne peut être en état de guerre contre sa propre population non armée! 
L’article 9 de notre Constitution dispose que:
  • « 1-  Le Président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent, proclamer   par décret, l’état d’urgence qui lui confère des pouvoirs spéciaux dans les conditions fixées par la loi.
  • 2- Le Président de la République peut, en cas de péril grave menaçant l’intégrité du territoire, la vie, l’indépendance ou les Institutions de la République, proclamer, par décret, l’état d’exception et prendre toutes mesures qu’il juge nécessaires. Il en informe la Nation par voie de message. »
Ces conditions juridiques n’ont pas été remplies dans le contexte de la crise Anglophone. 
Quand bien même le pays aurait été en état de guerre, l’article 34 du décret présidentiel N°83/540 du 05 novembre 1983 portant organisation du Ministère des Forces Armées et du Commandement qui traite des compétences du Chef d’état-major des Armées (CEMA) en temps de crise dispose que celui-ci peut être nommé par décret présidentiel, Chef d’état-major Général des Armées (CEMGA). Dans ce cas il «assiste alors directement le Président de la République dans l’exercice de ses fonctions constitutionnelles de Chef des Forces Armées. Le Président peut lui confier le commandement des opérations militaires». Puis, conformément à l’article 8 (2 a) du décret N°2001/180 du 25 juillet 2001 portant réorganisation du commandement militaire territorial, «[il] prend sous son autorité chacun dans sa spécificité: les Forces de la Gendarmerie Nationale; les Forces de la Sûreté Nationale; les Groupements des Sapeurs Pompiers».
D’où vient-il donc que le Ministre de la Défense agisse en Chef d’état-major général des Armées, alors même que le pays n’est pas en guerre, au point de réunir les responsables centraux et territoriaux des forces de défense et de sécurité et les deux gouverneurs des Régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, afin d’évaluer «le fonctionnement des divers dispositifs sur le terrain pour les adapter le cas échéant à l’aune du respect de la loi et de l’ordre» ? L’a-t-il fait par ignorance de la Constitution et des lois? Comment ne pas s’inquiéter d’une démarche qui viole aussi ouvertement la loi et donne l’impression d’une prise en main de la situation par la Défense?
En tout état de cause, j’appelle les militants et sympathisants du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) et toutes les forces démocratiques à rester extrêmement vigilantes dans ce contexte où la crise anglophone a révélé au grand jour l’effacement du politique, et où quelques officines peuvent ne plus être à même de refouler certaines velléités.
Le Président National
Maurice KAMTO
Yaoundé le 22 octobre 2017